Au fil du temps

Des tigres de papier dans des châteaux de cartes

Sextidi 26 Germinal CCXXVIII
(Mardi 14 avril 2020)

 

Quelle histoire ! Qu'en restera-t-il quand le virus sera dans les cordes ? Dans un an, où en serons-nous ? Si nous décidons de reprendre la course au gaspillage, nous saurons très vite retrouver nos marques jusqu'aux prochaines turbulences.

Il n'y a pas si longtemps encore, tellement de gens imaginaient la fin du confinement à une date donnée où toute la population sortirait dans les rues pour envahir les terrasses et fêter l'armistice sanitaire !
Tout le monde a hâte de reprendre enfin ses activités pour preuve que la vie repart ; de retrouver les transports en commun bondés aux heures de pointe, les embouteillages, le travail frénétique, les horaires fixes et la condition humaine régentée par le bilan économique. Ce n'est pas la panacée, mais au moins c'est du sûr, de l'éprouvé.
Pourtant les fondations du monde d'hier semblent bien ébranlées au point que notre Président de la République lui-même évoque une remise en question des fondamentaux qui charpentaient ses discours jusqu'alors. Est-il sincère ? En tout cas le sujet est abordé.

Bon gré mal gré nous expérimentons in vivo une autre façon de vivre, privée de loisirs coûteux, de tapages et de fuite en avant. Tout n'est pas que contraignant dans cet arrêt sur image, il libère des perspectives placardisées. On a un pied dans l'entrebâillement, la parenthèse pourrait ne pas se refermer. C'est un moment propice pour bifurquer sur un autre futur. La tourmente actuelle nous laisse entrevoir que nous ne sommes que des tigres de papier dans des châteaux de cartes. Le retour à la normale est-il si nécessaire ? D'abord, c'est quoi la normale ? La servitude mondialisée ? La santé indexée au PIB ? Travailler pour consommer ? Le moindre caprice livré en moins de 24 heures par les esclaves d'Amazon ?

Amateur depuis toujours de science-fiction, j'ai l'impression de vivre au présent un de ces scénarios d'anticipation terriblement réalistes au point de croire à leur réalisation inéluctable. C'est chose faite. Un livre de John Brunner écrit en 1972 et intitulé Le troupeau aveugle m'avait particulièrement marqué. À chaque catastrophe écologique ou sanitaire, je me disais « On y va ! ». Aujourd'hui, avec un brin d'amertume, je constate, « On y est. »
Et pourtant, par-delà cette avide normalité qui nous aliène et qui engendrera d'autres situations tout aussi folles que celle que nous subissons, tout est là pour une vie meilleure…