Au fil du temps

Ombre et Lumière

Mardi 9 juillet 2019
(21 Primidi Messidor CCXXVII)

 

Qu'est-ce qui m'occupe autant au point de me couper du monde ? À l'ère de l'information frénétique, c'est une attitude suicidaire. Je risque de passer pour un fat ou un misanthrope. 
Voilà : il s'agit d'une bande dessinée. La BD fut ma première passion. Dès l'enfance, je rêvais de devenir dessinateur de petits miquets. À l'adolescence, le rock m'a alpagué et j'ambitionnai aussi de faire mon trou dans ce domaine. Rock et BD sont allés de pair durant mes vingt ans. Et puis le ressort s'est cassé pour diverses raisons trop longues à expliquer aujourd'hui. J'abandonnai le rock pour la chanson, puis j'arrêtai la bande dessinée. Vingt années sans tracer de cases, sans remplir de phylactères. Et l'envie est revenue qui m'a inspiré la partie visuelle de L'Homme de Mars, il y a dix ans déjà. J'étais prêt à poursuivre. J'avais repris goût à la BD, mais impossible de trouver un scénario qui me satisfasse. Occupé à pas mal d'autres activités, j'ai vu passer la dernière décennie sans qu'aucune idée narrative ne m'inspire. Était-je trop exigeant ou bottais-je en touche par flemme ? C'était une vraie question.
Et puis un jour, un coup de téléphone. Les éditions Delcourt, avec qui je n'avais aucun contact, m'appellent et me proposent un récit à illustrer. Une histoire à laquelle je n'aurais jamais pensé. Une biographie. Pas la mienne, celle d'un artiste bien plus célèbre que moi. Bien bien bien plus célèbre. Je suis surpris. Pourquoi faire appel à moi qui publie si peu ? Mon interlocuteur argumente pour me convaincre, mais je sais d'emblée que je vais accepter sa proposition. C'est un challenge, une idée offerte sur un plateau, une aventure qui me plait déjà. J'ai besoin de redessiner.
C'était il y a deux ans, jour pour jour. Deux ans durant lesquels j'ai travaillé d'arrache-pied sur cette histoire. Ce fut passionnant et aliénant. Je quittais ma planche à dessin uniquement pour honorer des concerts. La tournée s'est terminée, mon roman Peine Perdue, achevé peu de temps auparavant, est sorti et son très bon accueil m'a baladé de librairies en salons du livre. Je ne pouvais pas me plaindre, mais pour respecter les délais de livraison de mes pages, je devais me reclure dans mon atelier dès que je rentrais chez moi. Plus de loisirs, plus de distractions, la vie de forçat volontaire, pas toujours facile à supporter pour les proches. Mais j'aime assez la folie douce qui me gagne dans ces moments et projette sur le papier des images inattendues. C'est comme si le subconscient prenait les commandes de l'avion en plein brouillard.
Les semaines passant, je me disais que je devais écrire une newslettre pour entretenir le lien avec vous, chers abonnés fidèles, afin que vous ne vous sentiez pas délaissés. Mais pour raconter quoi ? Les jours se suivaient et se ressemblaient, sans glamour ni éclat, juste le crissement de la plume sur le papier, le toucher soyeux du pinceau et les chiures de gomme qui s'amoncellent dans les coins et les replis.
Je n'avais rien à conter, je n'aime pas décrire les choses en train de naître, ça me coupe l'envie de les mener à bien. Alors silence. Muet à la limite de l'impolitesse. Tant pis si je froisse, c'est le prix à payer pour aboutir.
Aujourd'hui je mets la dernière touche à la réalisation de ce prochain album de BD en collaboration étroite avec Patrick Mahé. Il s'agit de la vie d'Elvis Presley et ça s'intitule « Ombre et Lumière ». Je vous en dirai plus dans les semaines à venir.