Lundi 13 avril 2009
Les jours se suivent et se ressemblent. Vu du ciel, une journée de studio n'a rien d'extravagant. Je commence à pester intérieurement sur les petits riens qui se répètent comme dans les vieux couples ou les familles. Une manie d'untel, un geste d'un autre qui, les premiers temps participent au charme de la personne et insidieusement deviennent des tares comme la poutre dans mon œil.
Je déteste l'artillerie téléphonique que l'on déploie pour soi-disant ne pas rater une urgence et qui, la plupart du temps, ne sert qu'à papoter façon mémère. Les ordinateurs connectés en permanence sur la vacuité du monde, les petites annonces musicales et les messages cybernétiques lancés à la manière des cancres du fond de la classe. Je crains en permanence que la concentration s'évapore et me voilà, à la fois artiste et contremaître, à surveiller la pendule des comptes à rendre et le pendule oscillant de l'inspiration. Cette crainte relève plus de la paranoïa que du réel. Elle s'adosse à l'évocation de mes débuts où la seule distraction possible en studio consistait en un lourd combiné filaire que l'on décrochait avec parcimonie pour ne pas troubler l'ambiance quasi mystique de l'enregistrement.
Aujourd'hui, cette appréhension n'a pas lieu d'être. Les idées fusent et chacun sait être à sa tâche en temps voulu. Exit Antonin Leymarie et sa brocante percussive, place à Ludovic Bruni et la vélocité arachnéenne de son jeu de guitare. Lorsque j'arrive au studio, une envolée d'accords de flamenco m'apprend que Ludo est déjà là. Le temps pour Fred de poser son pork-pie hat et son iPhone et nous voilà jouant en direct LOUIS LOUIS LOUIS, l'un des titres les plus faciles du répertoire. Ludo à la guitare électrique, Fred à l'acoustique, je peux chanter avec eux, sans me prendre la tête, ce drôle d'hommage à Louis Blériot.
Durant la pause déjeuner, Jil Caplan m'emmène dehors pour que j'interprète UNE VILLE À AIMER dans la rue, devant sa caméra, tel un beatnik d'un autre âge.
La journée commençait bien, mais lorsque nous entamons MOIS DE MAI, tout se barre en couille. Non pas par dissipation, ni par manque d'inspiration, au contraire. Profitant d'un moment d'inattention de ma part, Fred et Ludo sont partis dans une direction inattendue avec piano et guitare acoustique qui me laisse fort dubitatif. Le morceau perd son air de cabaret électrique et se met à ressembler à une chanson d'Higelin, période CAVIAR & CHAMPAGNE. Cela me rappelle de bons souvenirs, mais là n'est pas le propos. Après un long détour inutile, nous repartons sur la base d'origine. Ludo et Fred se partagent les guitares rythmiques, je chante en direct et, dans un même élan, j'accomplis le solo du titre, mariage de la Super Kent et d'un ampli taillé dans un paquet de cigarettes.
Retour sur ON A MARCHÉ SUR LA TERRE pour voir si Ludo aurait des bonnes idées. Rebof… On revient ensuite sur LES ÉLÉPHANTS. De nouveau l'inspiration se bloque. Ma direction musicale ne parle pas à tout le monde. Fred et Ludo suggèrent une nouvelle piste. Bien que vexé par l'abandon de mon arrangement, je dois reconnaître que cette version est séduisante et qu'il vaut mieux profiter de l'effet de surprise qu'elle suscite pour bondir en avant plutôt que tergiverser. Nous l'enregistrons tel quel.
Il est 21h30 lorsque nous arrêtons. Je suis rincé, vidé par la tension et les remises en cause successives. Heureusement que les autres ne sont pas comme moi. Ni Fred, ni Ludo, ni Bertrand ont ma susceptibilité et les émotions à fleur de peau. Un caractère passionné, emporté, est un fauve imbécile qu'on porte dans un sac-à-dos, une bombe qui menace d'éclater à chaque minute pour un rien. Elle se croit nucléaire et dévastatrice, la plupart du temps, elle n'est qu'un pétard mouillé. Et c'est tant mieux.
Je dîne en faisant mon courrier électronique. J'envoie un mail à Suzanne Vega. Nous allons chanter ensemble JUSTE QUELQU'UN DE BIEN