Au fil du temps

Premiers pas sur Facebook

(samedi 24 janvier 2009)

 

À LIRE AVEC ENTRAIN

Vous y êtes arrivés, ces jours, à souhaiter "Bonne année, meilleurs vœux" sans une once d'amertume sur l'accent tonique ? Moi pas. Je jouais le jeu, c'était de la comédie. Je ne connais personne pour qui 2009 sera une bonne année. Il y en a pourtant, mais il se trouve que je ne les fréquente pas. Ou je l'ignore. Des amis qui n'oseraient pas avouer que la crise leur profite. Ils en ont honte, ils le cachent, alors forcément, ça doit aussi leur gâcher l'horizon.

Malgré tout je ne vais pas mal, personnellement. Le moral est bon. J'aime l'idée que nous vivons une page d'histoire exceptionnelle en tout point de vue, quand bien même mes aspirations en souffrent. La curiosité n'est pas un vilain défaut si elle repousse le cafard et remet l'Histoire au goût du jour. Et le plaisir que j'en tire n'est pas du positivisme. Ne positivez pas ! Ne positivez plus ! Le positivisme est une forme perverse de résignation. N'oubliez jamais que c'est Carrefour® qui a lancé ce barbarisme pour vendre sa camelote. Revendiquez l'amertume, la puissante, la renégate, celle qui fait bien comprendre que l'économie mondiale spolie des acquis sociaux et non des privilèges. Aujourd'hui l'amertume n'est pas de mise. On vous la reproche. C'est ringard d'être amer. Je dis Hopopop! C'est comme le doute, il faut savoir s'en servir à bon escient. Sans doute ni amertume pas de débat ; sans débat pas de liberté.
Mon manager (appelons-le Bruno) m'a ouvert un compte Facebook®. Il trouve important qu'en tant que personnage public je me montre dans cette cybersphère. Je suis déjà allé me faire voir sur Myspace® à reculons, mais au final, j'avoue y trouver un intérêt notable en tant que musicien et pas seulement. J'y fais parfois de belles rencontres. Alors Facebook®, pourquoi pas ?
À peine j'y émets un clic que je me retrouve avec une foultitude de gens souhaitant devenir mes amis virtuels. J'en fréquente déjà certains dans la vraie vie, allez, on se fait coucou avec la souris, c'est rigolo. J'en pêche d'autres dont je suis content d'avoir enfin le contact, c'est vrai que Facebook® est un sacré raccourci. Et puis tous les jours, comme sur Myspace®, des tas d'inconnus m'invitent à être leur ami, c'est la conséquence de la notoriété. CONFIRMER ou IGNORER. Ai-je le choix ? Je ne vois pas quels en seraient les critères. Alors je confirme. Et je me retrouve aujourd'hui à une gigantesque party dans un labyrinthe où tout le monde retrouve votre chemin, où les portes ne ferment pas ou mal, où l'on dit tout et n'importe quoi au plus grand nombre. Je reçois un flot continu d'invitations et de messages à CONFIRMER ou IGNORER. Je suis Archibald Tuttle dans Brazil en train de me débattre avec une nuée de papiers qui me collent au corps et m'étouffent. On m'envoie des boules de neige numériques à renvoyer à mon tour, on me fait mon portrait chinois, on se pose des questions sur moi que je suis invité à découvrir, on me demande de participer à des groupes de n'importe quoi, gravement concernés ou totalement frivoles, des événements de tout acabit... STOP !
OK, je l'ai voulu. Avec mauvaise grâce, mais je l'ai voulu. Comme le téléphone fixe puis le portable, l'adresse Internet, le compte Myspace® et tutti quanti. J'ai des amis, des vrais qu'on peut toucher avec la main, je ne sais plus comment les joindre désormais. Je laisse un message sur leur fixe, ils me répondent en SMS de leur écrire un mail... ou sur Facebook®, c'est plus simple...
Un chanteur, c'est quelqu'un qui aime s'exhiber, c'est vrai. Mais pas à tout bout de champ. Du moins, dans mon cas qui n'est pas isolé. Sorti de la scène et des rencontres publiques, la vie reste privée. C'est quelque chose qu'on a du mal à faire admettre et à préserver à cause d'un panier de crétins qui se rendent célèbres par leurs frasques plus que par leur talent. La déviance s'est concrétisée avec Loft Story. Grâce à cette émission, nul besoin d'avoir du talent pour devenir célèbre. L'émission a disparu, mais la pathologie se porte bien. Et ses conséquences néfastes aussi.
Avant Myspace® et Facebook®, l'espace privé et l'espace public étaient faciles à délimiter. Il suffisait que je rentre chez moi pour faire la différence. Aujourd'hui, je me surprends à une heure du matin, dans mon lit, le Powerbook® sur les genoux, en train de parler avec des inconnus de ma vie publique. Ça ne m'est pas naturel, je m'en plains, j'ai le sentiment de m'être fait avoir. Je regrette avec amertume le temps où.. "Tutut !!! Amertume? Ringard ! Mais positive ! Ce serait bien pire si personne ne s'intéressait à toi, non ? Non ?"
C'est vrai. Gardons l'amertume pour des causes plus importantes. Et puis aujourd'hui que les maisons de disques tombent en poussière, que les médias s'atomisent, que le public, vous, mes amours, se voit lui aussi poursuivi jusque dans les chiottes façon Poutine par des camelots sans vergogne, ces tuyaux numériques restent encore le meilleur moyen de ne pas se perdre. Merde, je positive !

 

 

François Lebleu nous a quitté en décembre. Le Père Noël a dû juger qu'on n'avait pas été assez sage l'an passé, il a embarqué sur son traîneau un des Terriens les plus sympathiques qu'il m'a été donné de fréquenter. Comme ça, sans prévenir. Il fallait nous voir à son enterrement, tout juste si on n'attendait pas qu'il nous rejoigne au café après, tellement on n'y croyait pas. François a été Bronco Junior dans l'Affaire Louis Trio, puis batteur avec divers chanteurs dont Vincent Baguian, Prohom et votre serviteur.
Il faisait très froid et très beau à Lyon pour ses obsèques. Quand on levait la tête, on voyait Lebleu du ciel.

PS: Francois, écoute ça ! D'après l'AFP, pour les professionnels de l'industrie musicale, cette année au MIDEM, "le rôle central de l'artiste dans cette nouvelle ère semble être une grande tendance." Parce qu'avant ce n'était pas le cas ? Ha, d'accooooord !