Industrialisation musicale
(lundi 22 septembre 2008)
Septembre sent le cartable, le vent du Nord, l'humidité et la ceinture serrée d'un cran surtout en ces périodes de récession économique. J'entends à la radio que depuis le début de l'année, les banques françaises ont perdu 20 milliards d'euros, mais ce n'est pas grave car elles restent solides. On croirait une parodie de dépêche de l'ex-URSS. Plus que jamais le monde des finances nous fait la démonstration qu'il est un monde de charlatans, de menteurs et de lâches et que l'économie est une science aussi fantaisiste que l'astrologie.
Je remercie toutes les personnes qui m'ont envoyé des encouragements suite à mes "Doutes d'août". J'apprécie leur soutien, mais je me dois d'être honnête et leur dire que j'allais moins mal qu'elles ne l'imaginaient. J'exprimais juste un constat sur une situation générale qui, elle, est navrante. Je n'avais ni envie de dramatiser ni envie de relativiser. L'HOMME DE MARS n'est pas un projet évident, loin s'en faut. Il ne fut pas conçu comme un raccourci cosmique vers la reconnaissance. Il n'était nullement réfléchi, il s'est imposé, c'est tout. Je savais que ce n'était pas un album facile. Une chose est sûre aujourd'hui, au train où vont les choses dans le monde merveilleux de la musique, 2007 était bien l'ultime année pour réaliser un tel projet orchestral.
On a aussi dit pour me consoler que c'était trop beau pour marcher, que le public a des goûts de chiotte, qu'il n'y a que les nuls qui vendent, etc… Certes le mauvais goût est la chose la mieux partagée au monde, mais chaque année qui passe est ponctuée d'improbables succès artistiques en tout genre que l'industrie n'a pas su prévoir. C'est réconfortant. Ce n'est pas le goût du public qui me turlupine, j'ai développé précédemment ma théorie de la phase, je n'y reviendrai donc pas. C'est plutôt l'évolution des métiers de la musique. En France ces 20 dernières années, musiciens, techniciens, managers et organisateurs de concerts sont passés du statut d'amateurs enthousiastes à celui de professionnels éclairés. Ce qui est un progrès tant qu'il reste au service de la création. Mais le processus continue et nous entrons dans l'ère des industriels du spectacle pour qui un artiste est une marque, un album est un produit, la tournée est du marketing pour vendre du disque et du merchandising. Les structures s'alourdissent et coûtent cher. Elles nécessitent des sponsors qui deviennent les véritables maîtres du jeu. Ils se mêlent déjà de la programmation des festivals sur lesquels ils investissent, ils demanderont un jour des comptes aux artistes qu'ils produiront ou distribueront. L'ordre s'est inversé, la création est ouvertement un produit d'appel pour attirer la clientèle. En réaction à cette normalisation excessive naîtra un jour une alternative, c'est certain. On l'entend balbutier dans les tuyaux de l'Internet. Mais dans combien d'années sera-t-elle viable ?
À l'instar de la cigale de La Fontaine, nuit et jour, à tout venant j'ai chanté pour m'éviter de compter. Un artiste ne parle pas de budget, c'est mesquin. Il vit et pense autrement. Mais aujourd'hui dans cet autrement s'engouffre la pensée géométrale de l'économie, aplanissant en tableau Excel pour la rentabiliser toute perspective de fuite.
Vous chantiez ? J'en suis fort aise
Et bien comptez maintenant
La prochaine fois, je le jure, je planerai haut dans l'empyrée des Muses comme je l'ai fait cet été dans le ciel annecien, sous l'égide de parapentistes aguerris - le mal de l'air en moins.
PS 1 : en écrivant ces lignes je n'ai cessé de penser à PARIS AU XXe SIÈCLE, roman terrible et méconnu de Jules Verne où l'auteur anticipe avec 150 ans d'avance une civilisation totalement asservie à l'économie.
PS 2 : tout l'été, j'ai écouté ZOOM, album de Lilicub sorti en 2001. C'est une merveille.