La phase
(lundi 4 août 2008)
Paris devient tout à fait vivable, peuplé de touristes en goguette, soleil aux terrasses et corps dévoilés à l'envi. J'ai déjà raconté un peu tout ça dans la chanson VACANCES À PANAME. Un autre sujet de chanson serait de versifier les doutes qui dévorent le crâne de l'artiste qui n'est pas en vacances, qui doit préparer la rentrée et à qui personne ne donne la réplique. Maison de disques sur répondeur automatique, manager hors de portée de mails, musiciens sourds aux appels...
Je passe un été de coucou. On m'a vu en Cloclo aux Francos, en duos lyriques et décalés à Arc et Senans, on va me voir rendre hommage à Jeff Bodart sur une scène belge puis en compagnie de Suzanne Vega aux Muzik'elles. Je ne me suis jamais autant senti interprète (voire comédien dans le cas de Claude François), détaché, simplement au service des chansons que je dois chanter. Ma carrière est au vestiaire et ce n'est pas désagréable du tout.
L'HOMME DE MARS est en rade quelque part au bord de la Marne. Il s'apprête à repartir sur sa planète sans avoir eu l'occasion de visiter la France. On l'aime, on le trouve formidable, mais il n'est pas autorisé à se déplacer sur le territoire avec son équipage. Trop cher, pas assez tendance.
Deux ans de travail musical et graphique, trois mois de promo pour décrocher deux télés live (une nocturne, une cablée) et un concert autofinancé. Mais donnez-moi un costume à paillettes et des Clodettes et j'ai tous les JT de 20h d'un coup et 15 000 spectateurs ravis. Je me demande si je ne prends pas trop au sérieux ce métier.
Une carrière d'artiste est sujette à un phénomène naturel : la phase. Vous pouvez faire le meilleur disque du monde, être au sommet de votre talent, si vous n'êtes pas en phase avec l'air du temps, vous êtes condamné à végéter sur une mer d'huile. Par contre, si vous êtes la personne que le public désire, qu'importe vos qualités, qu'importe si votre chanson n'est pas un chef d'œuvre, une vague vous portera vers le succès, celui qui fait croire qu'on nous aime pour toujours et efface l'aigreur des mauvais jours. Plus dur sera le "chut!".
Dans les 80's j'ai eu l'honneur d'être un has-been jeune et la chance d'avoir pu m'évader du grenier. Un magazine d'époque que l'on qualifiait de branché m'avait rangé dans la liste "out" des personnalités à éviter. C'est le sort souvent réservé aux ex-quelque chose qui ont la prétention de continuer d'exister. Il fait le tri dans le carnet d'adresses, il nous apprend l'humilité et la pugnacité, il nous fait perdre nos illusions et c'est tant mieux. Attention, ne pas confondre perdre ses illusions et être désillusionné. Dans le premier cas, le regard se dessille, dans le second, il s'obscurcit. Ne plus avoir d'illusions est une force dans le monde d'aujourd'hui bâti uniquement sur le paraître. La réalité s'étale au grand jour, bête et indémodable. On l'arrange selon ses humeurs et ses convictions.
J'ai le sentiment d'être à nouveau dans une salle d'attente que je connais bien. Je m'y suis tapé la tête contre les murs à 18 ans puis à 25, à guetter une reconnaissance que j'entendais rire dans les salons d'à côté. La donne est quelque peu différente aujourd'hui. J'affiche le double au compteur, le music-hall est surpeuplé et ne paie plus le personnel. On aime les jeunes qui plaisent aux jeunes et les vieux chanteurs qui rappellent d'autres jeunesses. Quel que soit le genre abordé, on est festif avant tout. La poésie, les expériences, les remises en question, ça fait intello, c'est mal assorti avec l'i-Pod. C'est dommage, j'aime bien l'i-Pod. À nouveau je me demande si je ne prends pas trop au sérieux ce métier.
Tout ce long préambule est une manière d'aborder cette question récurrente qu'on ne cesse de me poser : "Quand est-ce qu'on vous revoit sur scène en tant que Kent ?"
Réponse: "Ça ne dépend pas de moi, mais de la... phase."
La tournée de L'HOMME DE MARS n'ayant pas lieu, je suis passé à un autre projet, celui de partir avec Fred Pallem et nos guitares pour un Tour d'horizons où je revisite mon répertoire de Starshooter à aujourd'hui. Je suis dans la salle d'attente, mon ticket à la main, ma guitare en bandoulière. J'attends que les contrôleurs m'autorisent à monter dans le train.