L'Homme de Mars est-il rock ?
(dimanche 17 février 2008)
Il y a deux ans et dix jours, je confiais dans ce Journal que je ne souhaitais plus voir de concerts. J'éprouvais de la lassitude à l'idée même de me rendre dans une salle de spectacle. J'ai cru que c'était momentané. J'en avais trop vu, trop fait, j'étais blasé, il me fallait prendre de la distance. J'ai arrêté de tourner et me suis consacré à l'écriture et au dessin. À la musique aussi incidemment. À ma grande surprise, l'envie de composer ne semblait pas émoussée. J'ai trouvé toutes sortes d'excuses pour ne pas aller aux concerts et quand, par égard pour certains amis, je m'y rendais, je n'avais qu'une hâte, partir au plus vite. J'étais affreusement critique et froid. Dix minutes me suffisaient pour comprendre le déroulement d'un spectacle. Je jugeais le public crédule et les réactions prévisibles.
Il y avait aussi l'ennui de retrouver les VIP dont je fais partie. On se reconnaît sans vraiment se connaître, on se salue, se demande des nouvelles, toujours les mêmes. Très vite je me mets en mode distraction et je n'enregistre rien des conversations, j'aspire à la téléportation immédiate. J'en parle au présent car le symptôme persiste. À la question simple, "Qu'est-ce que tu deviens ?", je ne sais pas quoi dire. D'ailleurs personne ne devrait savoir quoi dire. La question est trop vague, trop vaste. Y répondre sincèrement prendrait des heures. Qu'est-ce que tu deviens ? Bien sûr, je devine qu'il s'agit du strict point de vue artistique. Mais mon évolution artistique est étroitement liée à mes errements métaphysiques. La réponse ne peut être qu'élusive sous peine de se transformer en confidence de divan. Ce qui risque d'être embarrassant pour l'interlocuteur qui souvent n'en demande pas tant. D'ailleurs il vient de faire signe à quelqu'un qui arrive… Son portable sonne... Le concert commence…
"Qu'est-ce que tu fais en ce moment ?
- Je viens de finir un album.
- Ha ouais, super ! Et il est comment ? J'veux dire, c'est rock ou plus chanson..."
Le milieu musical n'est pas un univers en expansion. Il a plutôt tendance à se fragmenter en microcosmes repliés sur eux-mêmes. Le microcosme de la chanson dite française communique peu avec celui du rock qui reste hermétique à celui du jazz, etc. Je sais désormais qu'en territoire rock, je serai toujours un Starshooter et en chanson le fils de Prévert. Je franchis régulièrement le pont qui sépare ces deux rives et j'entends de part et d'autre des remarques sur ceux d'en face. En chanson traditionnelle, la rock'n'roll attitude fait sourire et en rock orthodoxe, la variétoche rend fielleux. Mais il est intéressant à noter qu'un vernis rock en chanson est de bon aloi, alors qu'un crédit de chanteur à texte en rock est un lourd handicap. On en est encore et toujours là après plusieurs décennies de crêpage de banane. Aujourd'hui le mot "pop" revient à la mode comme une tentative de réconciliation. Si l'on s'accompagne à la guitare en citant Bob Dylan, on est pop. Si la chanteuse d'un groupe a une voix douce, il est pop. Et pop c'est à la fois rock et chanson. Ouf !
Mon prochain album est-il rock, chanson ou pop ? Voire rythm'n'blues ! Il y a des cuivres, alors certains peuvent penser que... C'est mon angoisse du moment. De plus, pour couronner le tout, c'est un livre-disque. Déjà pour un disque normal il y a débat pour savoir quoi de la musique ou du texte est le plus important, ajoutez du dessin, on ne s'en sort plus. Il y a bien longtemps que j'ai quitté le monde de la bande dessinée, j'ignore comment je dois m'y présenter. La BD est-elle aussi codée que la musique ? Tous ces questionnements quand je n'ai fait que me donner du plaisir en menant à terme une idée qui m'a électrisé des mois durant.
Un verre de bière à la main, me dandinant d'une jambe sur l'autre, je cherche un bon mot à sortir faute de trouver une définition synthétique de mon travail.
"Tu vas faire une tournée ?"
Soupir. Ho oui, j'aimerais ! Je rêve d'interpréter l'intégral de L'HOMME DE MARS comme les Who quand ils jouaient TOMMY d'une traite. Monter quelque chose qui ait de la gueule avec beaucoup de musiciens. Ce ne sera possible que si l'album se vend. Dois-je l'avouer, l'exprimer ? J'ai voulu réaliser un album luxuriant, j'envisage la même chose sur les planches, par bravade, parce que l'époque n'est pas généreuse. La gratuité n'est pas la générosité. La gratuité refourgue du réchauffé en échange de réclames. La générosité ne sait pas compter. Les cuivres, les cordes, les arrangements de L'HOMME DE MARS, je les veux comme un feu d'artifice dans la morosité d'un milieu musical kitsch et mortifère, où tout est jugé à l'aune des partenariats, qui ne sait plus prendre de risques et vend au public le service minimum. Des couples divorcent pour ces raisons-là. En étant pragmatique, on se prépare un avenir comptable. En rêvant haut et fort, on ne sait pas de quoi sera fait demain.
Alors je rêve. Je suis sur Mars, j'arrive.
PS : NO COUNTRY FOR OLD MEN des frères Coen. Ouaaah !