Au fil du temps

Une goutte d'eau dans les chutes du Niagara

Quartidi 4 Vendémiaire CCXXX
(Samedi 25 septembre 2021)

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Avant, quand mon actu était sur cale, je puisais dans les sujets de société pour alimenter ces lignes, je donnais mon point de vue sur mon métier, je racontais mes voyages, que sais-je encore… Et puis j'ai pris conscience du nombre astronomique de mes semblables qui agissaient pareillement. Je me suis senti un peu couillon.

Je butine de temps à autre les pages Facebook des chanteurs, chanteuses et groupes que j'apprécie. S'ensuivent des accès de déprime. Nous sommes tellement nombreux à nous presser sur la Toile pour nous auto-promouvoir. Cette frénésie me saoule et m'incite à prendre le contrepied au point que je néglige d'évoquer des informations utiles. Tout effort me semble vain, une goutte d'eau dans les chutes du Niagara. Alors je m'en détourne et je fuis.

Je me suis ainsi rendu cet été de Paris à Lyon à vélo (non électrique) en longeant rivières et canaux. Une échappée solitaire. J'aurais dû poster un journal de bord, me diront les followers. Oui, mais non. M'épancher aurait nuit à mon évasion. De toutes manières, je n'avais rien à raconter, tous les jours se ressemblaient et je ne cherchais pas l'exploit. Je roulais, j'étais bien, c'est tout. Me revint en pédalant une discussion avec Mano Solo. Nous nous fréquentions à une époque. J'allais chez lui l'après-midi et l'on refaisait le monde en buvant du thé. Il avait la passion à fleur de peau et ne connaissait rien de plus ressourçant que de chanter en public. J'étais d'accord. Mais je lui ai avoué qu'il m'arrivait d'être aussi euphorique sur mon vélo en rase campagne que sur scène. Il n'a pas voulu me croire.

Il y a une vie hors les projecteurs, hors Internet, riche et vitale comme une forêt primaire. Si on l'expose à la lumière, elle se calcine. Les réseaux sociaux nous poussent à mettre en scène les recoins de nos existences. Le smartphone nous colle aux basques continuellement au point d'inquiéter ou d'irriter si l'on ne répond pas dans l'instant à une sollicitation.
Comment vivions-nous l'attente avant l'ère numérique? L'impatience était moins pressée. Une journée d'hier valait une heure d'aujourd'hui et le temps allait pourtant à la même vitesse. On pouvait se rendre dans un jardin secret sans être pisté par Google. On pouvait y traîner des heures avant qu'on cherche à savoir à quoi vous vous occupiez.
À cette époque, l'actualité d'un chanteur se limitait à ses sorties de disques et ses concerts. Ceux qui exigeaient plus étaient des emmerdeurs, le chanteur qui jouait leur jeu passait pour un égomaniaque.

Moins c'est mieux. Un jour peut-être l'état de la planète nous contraindra à revenir à cette discrétion dépassée. Je ne doute pas que des mécontents se révolteront au nom de la liberté d'expression.
D'après le site ConsoGlobe (https://www.planetoscope.com/), « 2 600 000 e-mails sont envoyés chaque seconde (compteur) / 484 000 messages WhatsApp / 64 000 requêtes Google / 25 000 morceaux de musique écoutés sur Spotify / 5 900 messages sur Twitter / 4 100 photos téléchargées sur Facebook / 1 500 heures de vidéo vues sur Netflix / 1 100 photos téléchargées sur Instagram / 300 matchs sur Tinder / 7 heures de vidéo chargées sur YouTube… » Chaque seconde! Est-ce primordial d'alimenter cette dinguerie?

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