Au fil du temps

Silence Réseaux

Quartidi 24 Floréal CCXXIX
(Vendredi 14 Mai 2021)

 

Ça n'est plus discutable. Pour les artistes, les créateurs, tout passe désormais par les réseaux sociaux. La découverte, la reconnaissance, la consécration sont assujetties à la quantité de vues, de clics, de likes et de followers engrangés. Et bien que tout le monde sache que l'on peut tricher à souhait, leur renommée et simplement leur crédibilité en dépendent.

Facebook, Instagram et consorts nous poussent à une présence permanente dans leurs mailles. S'il y a relâche, une notification nous le signale. On n'en est pas encore à la remontrance, mais c'est suffisamment bien tourné pour que l'on se sente coupable d'inaction. Il faut animer notre page, même lorsque rien ne se passe. Que nous soyons en pleine création, en mode flemme ou passablement déprimé, que nous ayons envie de nous isoler, que ce ne soit pas notre nature de nous étaler à tout bout de champ, nous sommes priés malgré tout de poster un truc sympa pour nos abonnés.
Le reclus, la réservée, le bougon, l'insoucieuse doivent s'exposer autant que le narcisse et l'égotiste, le vantard et la bonimenteuse. La discrétion n'est pas de mise. Les plus réticents délèguent aux managers, éditeurs et maisons de disques le soin de leurs vitrines, ça donne souvent des profils plats aux allures d'encarts commerciaux.
Sur nos pages, nous devons toujours être drôles, perspicaces, avoir l'esprit d'à propos, même si notre caractère ne s'y prête pas. Être positif en toutes circonstances. Nous voilà chroniqueurs bénévoles à temps plein du bulletin permanent de nos existences. Notre motivation première, la musique ou tout autre moyen d'expression, semble n'être plus qu'un prétexte à parler de soi. Si l'on n'est pas enclin à poster n'importe quoi, c'est une corvée que de chercher continuellement quelque chose à dire ou à exhiber. C'est une entrave à la liberté d'esprit.
Pour occuper les lieux, il est charmant et tentant, lorsqu'une longue carrière le permet, de partager des souvenirs qui font mouche à tout coup car la nostalgie est le baume le mieux partagé de toute communauté. Mais elle oblige à avancer à reculons, le regard tourné sur le passé. Ça n'aide guère à aller de l'avant. Le public aime que l'on flatte sa mémoire. « J'y étais! » « C'était le bon temps! »; c'est la porte ouverte à « c'était mieux avant » et c'en est fini de la nouveauté et du renouvellement.

La vacance numérique est en ce cas une question de salubrité mentale. Elle aide aussi à rendre excitante le retour à la lumière et le plaisir des retrouvailles. J'écris cette réflexion dans la confidentialité du Journal de mon site. La tentation est grande de la publier sur Facebook, mais alors je fous en l'air ma démonstration. J'aurais pourtant aimé savoir combien de followers l'auraient likée… C'est important pour ma crédibilité.