Au fil du temps

2020, Année sabbatique

Septidi 17 Fructidor CCXXVIII
(mercredi 2 septembre 2020)

 

Je suis en année sabbatique. Je goûte au plaisir du repos prolongé, du repli et du refus, moi qui n'ai jamais su dire non aux propositions de travail et qui ai toujours privilégié mes projets à mes loisirs. Est-ce l'âge ou l'accumulation d'activités de ces dernières années ou bien les deux à la fois ? Si je voulais connaître les vertus de l'année sabbatique, c'était le moment. Passée la soixantaine, la santé devient un terrain miné, on entame les prolongations même si l'on regimbe à vieillir.

L'inattendu de mon année sabbatique s'appelle Covid-19 et il a pas mal bousculé mes plans. Rien de vraiment établi, au contraire. Je comptais improviser mon emploi du temps au gré des envies, voir du pays sur un coup de tête, rendre visite à des amis éloignés ou simplement tirer ma flemme quand ça me chante. C'est compromis. Reste l'adaptation à l'incertitude qui est une bonne leçon de vie.

Évidemment quand on opère dans la création artistique, on peut refuser des projets, mais il est impossible d'arrêter d'avoir des idées. Je prends des notes et je les remets à plus tard, je me brime et ce n'est pas sans intérêt. C'est comme de tourner cette fois sa langue dans la bouche avant de parler. Les bonnes idées s'améliorent, les bancales s'évaporent.
Dans mes textes, j'ai toujours exprimé ce que je vis et ce que je ressens. Ma vision du monde et mes émotions découlent de mes expériences. Elles sont les nutriments de mon inspiration. Ce dont j'aime traiter, ce sont mes états d'âme du moment. J'ai toutefois un souci. Le monde d'aujourd'hui et son futur ne sont pas une source de félicité et constater que mon existence à venir ne va pas aller en s'arrangeant ne me réjouit pas. Le remède est dans l'écriture. Je sens que je peux écrire de belles choses sur ces sujets, mais qui a envie de les entendre et de les lire ? Moi-même, je me détourne des œuvres et des auteurs qui traitent de cela. J'ai besoin d'air frais et d'horizon. Je ne cherche pas la gaudriole à tout prix, mais j'avoue que j'écoute plus volontiers un disque de musique entraînante qu'un album de chansons tristes ; je vais lire un roman qui me sort de mes ruminations plutôt qu'un essai sur la finitude de l'existence ; regarder un film distrayant au lieu d'un documentaire sur la misère humaine.

Mon année sabbatique va me servir à cela : trouver les bons mots pour embellir sans trahir mes pensées ni l'élan qui les pousse. Ce n'est pas une mince affaire, mais j'ai confiance dans le virus ; il semble jouer les prolongations et m'offre ainsi du temps sabbatique supplémentaire pour arriver à mes fins. Un mal pour un bien en quelque sorte.