Deezer
Nonidi 29 CCXXII
(lundi 17 février 2014)
Si vous allez sur Deezer pour écouter le chanteur Kent dont vous avez entendu parler et que vous tapez son nom dans la lucarne de recherche en haut à droite, la fenêtre s'ouvre sur la page de mes homonymes suédois. On y voit la photo du groupe, on y lit leur bio, mais dans leur Top Titres ce sont mes chansons qui apparaissent. Quant à la discographie proposée, c'est un joyeux mélange de mes albums et des leurs. Je dis “joyeux”, en fait ça me met en rogne.
Je me suis plaint à Deezer, on me répond qu'il n'y a rien à faire. Buttle et Tuttle. Vous savez, c'est dans Brazil, le film de Terry Gilliam. Une erreur de frappe dans un patronyme et votre vie bascule. Bon, dans le cas présent, il n'y a pas mort d'homme et ça prête à sourire. Du moins en France et en Suède. Cependant pour un Japonais, un Pakistanais ou quiconque ne distingue pas le français du suédois, la confusion reste totale. Mais la mauvaise volonté n'a pas envie de se taper la tâche fastidieuse de repointer tous les titres de l'un et des autres pour clarifier la situation. Ça veut dire que ce bordel durera jusqu'à la fin de mes jours sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement – oui, il n'y a pas que Deezer à incriminer.
Avant on allait voir le disquaire et on le priait de ranger les disques comme il faut. Maintenant ce n'est plus possible. Un stagiaire sous-payé entre sur Internet des données numériques incomplètes et elles sont reprises en boucles obstinées à l'infini. Vous devenez le jouet de moteurs de recherche obtus, programmés par des geeks compulsifs pour qui vous n'êtes que des lignes de code.
L'accès à la connaissance n'est pas la connaissance. Pour qu'il en soit autrement, il faut que la connaissance soit à toutes les étapes du processus. C'est trop en demander. On n'a plus le temps. On court de l'avant vers un nouveau monde en jetant derrière nous les bagages superflus. On garde le gel pour les cheveux et l'on bazarde le dictionnaire trop encombrant. Pour la connaissance on a l'appli Wikipedia dans le smartphone, que demander de plus ?
Par curiosité je suis allé voir ce que l'on dit de moi sur Wikipedia. Bon, il y aurait à redire, mais pas de quoi fouetter un chat. Je suis plutôt bien rangé, on va dire.
C'est drôle tout de même de penser à mon œuvre sur Internet sans contrôle et sans droit de regard. J'imagine dans 70 ans, quand je serai tombé dans le domaine public, un de mes descendants allant glaner des infos sur son aïeul artiste. Il entendra des chansons en français et en suédois et trouvera des textes en vieux patois qu'il aura du mal à comprendre. Il verra des photos de presse et des clichés d'amateurs où j'apparaîtrais tantôt dans un groupe nordique, tantôt en solo. Par chance tombera-t-il peut-être sur mon site officiel toujours en service comme un satellite oublié en orbite autour de la Terre qui émettrait encore des ondes, mémoire fidèle de son créateur, finalement le plus juste témoin d'un temps révolu. Beau comme un grenier d'antan.