Au fil du temps

Une infirmière

Decadi 10 Ventose CCX
(dimanche 28 février 2010)

 

Je cherchais quoi dire dans cette chronique. J'hésitais à me lancer sur les points communs entre les carrières politique et musicale… ou bien sur une réaction que j'avais eue à la lecture d'une interview de J-P Nataf au sujet du rôle des paroles dans une chanson. Un peu redondant, tout ça. Limite onaniste. Et puis, j'ai eu un échange de mail avec une personne, Nadège, sur Myspace, qui tentait de venir me voir en concert à Toulouse, le 24 mars prochain. Ça paraissait compliqué à cause de ses horaires de travail. Je lui ai demandé si elle était infirmière, par hasard. Voici sa réponse qui vaut bien plus que des états d'âme de chanteur.

« Hélas oui je suis infirmière puéricultrice depuis 14 ans maintenant… C'est un boulot passionnant mais d'une ingratitude incommensurable… Et avec la meilleure constitution, on s'y épuise en rien de temps ! Les horaires de fou qui changent tout le temps, parce qu'il faut remplacer les collègues au pied levé et qu'on ne peut pas laisser tomber les patients qui ont toujours besoin de nous, mais qu'on peut par contre tout à fait planter sa famille, parce que quelle idée aussi d'avoir une vie de famille avec un métier pareil ? La charge de travail qui augmente de jour en jour, parce qu'on manque de personnel, mais que nos dirigeants se sont rendus compte que sans remplacer ça fonctionnait aussi parce qu'on est tellement connes et tellement consciencieuses qu'à la fin de notre service les soins sont faits, peu importe les conditions, peu importe si on n'a rien mangé pendant 12 h, peu importe si l'on n'a même pas pu pisser, d'ailleurs on a même oublié qu'on avait un corps et une vessie et c'est dans le vestiaire que l'on se rend compte qu'on existe nous aussi et qu'on est toutes douloureuses des tensions accumulées dans la journée, peu importe si l'on part 1 h ou 2 après l'horaire parce qu'on ne veut pas laisser trop de trucs à la collègue qui arrive après, peu importe si l'on a même pas eu le temps de parler a celui qu'on avait en face, si l'on n'a pas pu le réconforter faute de temps, si l'on sort en pleurant de rage d'avoir fait un tel boulot de merde alors qu'on sait très bien comment il aurait fallu le faire en théorie, peu importe si de retour chez nous on est laminées par la fatigue et la douleur psychique d'avoir accompagné des histoires difficiles sans que quiconque nous ait permis de vider notre sac nous aussi...

Tu l'as compris, j'adore ce métier, mais je n'aime pas du tout la façon dont on me demande de l'exercer. Sans doute parce que j'ai dépassé la date limite d'utilisation, la durée de vie professionnelle moyenne d'une infirmière tourne autour de 8 ans, on comprend vite pourquoi. Jusqu'alors, le gouvernement nous accordait le droit de partir en retraite à 55 ans (avec décote si les annuités n'étaient pas réunies !) mais la majorité des infirmières à 55 ans sont déjà arrêtées en invalidité. Forcément, travailler debout, sans rythme, sans avoir jamais le droit d'écouter son corps ni de manquer, manquer de repos, de reconnaissance, se faire engueuler sans arrêt de toutes parts parce que le système de santé est malade, les médecins, les cadres, les patients qui ne sont pas contents de la façon dont tu travailles, les vacances d'été qui ne doivent pas excéder 15 jours parce que sinon tu risquerais d'être trop reposée... Bref je fais ma Cosette là, mais si tu connais quelqu'un dans ton entourage qui veut faire ce métier, décourage-le tout de suite !! :-)) »