Le Jour de l'An Paris-Province
(samedi 10 janvier 2004)
C'est drôle comme de plus en plus de gens s'excusent d'honorer les fêtes de fin d'année et les vivent, la plupart du temps, sous le signe de la dérision. La raison de cette attitude, annoncent les plus revêches à la coutume, est qu'ils supportent mal qu'un calendrier décide pour eux de s'amuser à une date précise. J'ai aussi pensé cela longtemps.
Aujourd'hui j'arrive à trouver plutôt bien que des millions de gens s'envoient des vœux et s'embrassent au moins une fois l'an. Je n'ose pas croire que ce sont des millions de faux culs. Je suis même persuadé que 99,99% de ces terriens sont sincères, ne serait-ce que le temps d'une bise. Et toutes ces résolutions pour démarrer une année meilleure que les précédentes.
Combien de clopes écrasées, de derniers verres vidés, d'énergie retrouvée pour déplacer une montagne, lancer un défi, changer de vie... Qu'en reste-t'il le 2 janvier, le 31 juillet ou le prochain 31 décembre ? Même si ce n'est que pour la beauté du geste, ça vaut le coup d'être tenté. Sentir le souffle du possible et se laisser porter par sa vague euphorique, c'est un instantané de bonheur.
Ma tournée s'est finie le 6 décembre à Ivry. Je suis en retraite pour préparer le nouvel album. Je vais partir faire des concerts en Afrique au mois de mars. Beaucoup de points de suspension constellent déjà mon agenda 2004. Il y en a aussi dans ma tête. Écrire des chansons, d'accord, mais lesquelles ? Après toutes ces années, le piège est plus dans la redite que le tarissement. J'ai envie de portraits, de décrire des personnes. Je n'ai plus fait cela depuis longtemps. Durant mes tournées, je rencontre des gens remarquables, je croise des vies étonnantes dans des régions où Johnny Hallyday ne foutra jamais les pieds, que Chirac survole à bord d'hélicoptère et que la capitale dédaigne. La province. Il y a deux pays en France : Paris et la province.
Cela fait 16 ans que je vis en région parisienne et j'ai toujours l'impression d'être un immigré de province. Pourtant, le parisien type, celui qui mène cette ville à un train d'enfer et la rend brutale, est rarement né intra muros. C'est un provincial qui a coupé les ponts et supporte mal de retrouver la région qu'il a fuie. Quand, à Noël, il "descend" voir sa famille, il a le verbe condescendant et la lassitude hautaine. Il utilise son portable comme une zapette pour se sortir d'un programme rébarbatif. Il se demande ce qu'il fout là et se félicite d'avoir su un jour s'évader du monde restreint de ses origines. Le 31 décembre, assis devant sa télé, une pile de DVD posée à côté de lui, il se félicite de ne plus avoir de joies simples et vulgaires et s'emmerde ce jour-là comme n'importe quel autre jour de l'année.
Bonne année 2004 !